Variations autour du Petit Chaperon Rouge.
Ou plutôt une excursion, le terme serait plus juste, au sein de ses multiples thèmes, ses nombreux sentiers.
Exprimer les tours et détours guettant dans les ancestrales pages du conte : là où il impose une morale, l’art va se refuser aux certitudes pour se concentrer sur les zones d’ombre sous-jacentes qui portent le texte.
Puisqu’un conte se limite à son propre récit, l’exprimer consisterait d’abord en la fidélité envers son iconographie : une jeune fille, une forêt, un loup, une couleur… qui permet l’élaboration de symboles : le conflit œdipien, l’initiation sexuelle, la défloration… Et à la « forme close » du conte, à son objectivité, vont se confronter la subjectivité des artistes.
En justes profanes qu’ils se doivent d’être, ces derniers, Vincent Descotils, Patricia Cartereau, Kjetil Karlsen et Victoria Klotz, font le pari de la supposition et se risquent sur ce que laisse à peine suggérer le texte, à savoir le trouble, le désir sexuel.
Le trouble est en effet toute la matière des photographies de Kjetil Karlsen et de Vincent Descotils, autant dans leur sujet (l’élaboration de visions impalpables ; méditatives pour le premier, nostalgiques pour le second, mais toujours poétiques et mystérieuses) que dans leur traitement.
Leurs photographies sont attentives aux corps des protagonistes du Petit Chaperon Rouge, le corps-éveil de l’enfant, le corps-menace (ou non ?) du loup, tantôt homme tantôt animal.
Le regard est frontal chez Vincent Descotils, au plus près des tressaillements, tandis que Kjetil Karlsen prend du recul pour mieux mesurer l’immersion de la chair dans les entrailles phalliques des bois. C’est par la solitude la plus camouflée que la rencontre se réalise. Chez ces deux photographes, l’essentiel se passe avant la confrontation entre la fillette et le loup : il réside dans celle avec la forêt.
Devenir la forêt. Si le Petit Chaperon Rouge envoi le loup chez sa grand-mère, serait-ce pour mieux vaquer dans le plus long sentier –et profiter de sa première excursion, dans cette nature qui a su engendrer de tels prédateurs ?
Vaquer, ou plutôt chuter en forêt, dirait Patricia Cartereau. L’excursion est une chute dans une intériorité ouverte, où telle l’encre sur ses toiles, fragile et violente, la pulsion s’impose.
Le loup est intérieur : il a la couleur de sous la peau, la couleur de la première fois, rouge. Puisque dans le conte le dépucelage s’apparente à la dévoration, alors les chairs fusionnent entre elles, et, chez Patricia Cartereau, elles ne s’exécutent qu’avec le vertige de l’extase.
Ne restons donc pas dans le bon chemin, et n’hésitons pas à tirer la chevillette. C’est aussi le message que nous adresse Victoria Klotz, avec son installation « Blesswilde ». Un jeune cerf écoute une radio où se mêlent un air d’Offenbach et le hurlement des loups, ce dernier apparaissant soudainement dans une forme positive, dénuée de toute l’imagerie horrifique dont on l’affuble.
Le conte du Petit Chaperon Rouge a toujours eu pour but d’inculquer la méfiance, la crainte de l’autre. Victoria Klotz s’en porte à faux, et là où Kjetil Kerlsen, Vincent Descotils et Patricia Cartereau jouent avec la peur pour en faire une clef du plaisir érotique, elle choisit la carte de l’apprivoisement. La nature malveillante n’existe pas, nous rappelle-t-elle.
Dans une exposition sans chasseur, promenons nous dans les bois –tant que le loup y est. Son chant, beau et inquiétant, a le ravissement de l’inconnu.